Comment transformer la peur en courage ? par Marina Blanchart

Pour illustrer la manière dont nous travaillons avec la peur des enfants, je vais vous développer l’intervention que j’ai menée, dans un premier temps avec les parents, pour rencontrer et travailler ensuite avec l’enfant lui-même, une petite fille de 8 ans que je nommerai Laura.

1ère séance

Je rencontre les parents de Laura une première fois et ceux-ci m’expliquent que leur petite fille exprime depuis quelques temps des peurs de plus en plus envahissantes au moment du coucher. La journée, l’enfant est décrite comme indépendante, passionnée et bien dans sa peau, mais le soir venu, les peurs surgissent. Ainsi, et ce depuis des années, Laura exige qu’un de ses parents reste à l’étage à partir du moment où elle doit aller au lit (et ce jusqu’à ce qu’elle s’endorme). Elle « crise », comme nous le diront les parents, jusqu’à ce que sa maman cède, se mette en pyjama pour lui montrer qu’elle va se coucher également. Ses parents sentent leur enfant tellement angoissée (et ce malgré leurs tentatives de la rassurer qui se sont jusqu’ici révélées vaines) qu’ils accèdent à toutes ses demandes afin qu’elle soit plus sereine, plus apaisée. Ils ont même essayé le yoga. Mais rien n’y a fait. Les peurs sont toujours vives. Pire même, elles se sont encore accentuées depuis qu’un proche voisin a été cambriolé.

Durant la nuit, Laura se réveille presque systématiquement vers minuit. Elle vient dans la chambre de ses parents, les éveille et exige qu’un des deux l’accompagne aux toilettes. J’apprendrai au cours de ce premier entretien que Laura souffre d’énurésie nocturne, et que ses parents cèdent à ses exigences afin de tenter de l’aider sur ce point également. Malheureusement, cette aide n’a guère d’effet. Et les parents de découvrir presque chaque matin le lange de Laura mouillé.

La première séance se clôture par un recadrage de l’intervenant. Je décide de présenter la situation sous un jour différent en explicitant aux parents que rassurer de manière rationnelle leur petite fille - débordée par des peurs irrationnelles - ne fonctionne manifestement pas. Ils parlent avec leur tête (avec leur raison) quand leur petite fille réagit davantage avec son ventre (centre émotionnel). C’est donc avec ses émotions, avec son ventre donc qu’elle réagit dis-je, de manière imagée aux parents. Dès lors plus ils tentent de la rassurer, plus les peurs sont renforcées par cette argumentation qui manque sa cible et doivent crier pour se faire entendre.

 

Le premier mouvement stratégique sera donc de leur suggérer de ne plus la rassurer, puisque c’est là un élément alimentant le problème. C’est donc par souci éthique, et non par l’absurde, que le thérapeute bref tente de bloquer cette tentative de solution dont l’inefficacité est à la mesure ici de ce qu’elle génère.

Je propose dès lors aux parents de prendre chaque jour, au retour de l’école, vingt minutes pour permettre à Laura de « vider son sac » concernant ses peurs, de l’écouter sans la rassurer, d’aller autant que faire se peut mais dans le respect de la relation le plus loin possible dans ses peurs. Aussi je propose aux parents d’adopter une position de compréhension et d’empathie (« ok, et à ce moment, que risque-t-il de se passer… »).

J’explique également aux parents que le fait d’accepter de rester près de leur fille le soir ne fait que renforcer ses peurs (« si mes parents restent, c’est qu’il y a bien des raisons d’avoir peur »)  tout en lui renvoyant en filigrane un autre message essentiel mais tout aussi malheureux, à savoir celui qu’elle n’est pas capable de s’endormir seule en haut et de gérer ses peurs.

Je leur demande donc de ne plus rester en haut avec elle pour s’endormir, de lui dire qu’elle est capable de rester seule. Je leur propose aussi d’essayer de refuser de se lever la nuit, de dire à Laura qu’ils sont trop fatigués (ce qui de plus est vrai !) et de l’envoyer seule aux toilettes, ce qu’elle sait faire, évidemment, pendant la journée. 

Sur base de ces différentes prescriptions, je décide de nous revoir quinze jours plus tard.

 

2ème séance

Les parents reviennent donc et m’expliquent ne plus jamais s’être levés depuis notre dernière rencontre. Laura a bien fait une scène la première nuit, mais voyant que les parents  ne cédaient pas, elle s’est rendue seule aux toilettes. Elle les a encore réveillés deux fois mais depuis elle se débrouille seule. Notons qu’à ce niveau de l’intervention, il n’y a pas eu de changement notoire au niveau de l’énurésie.

Les parents ont bien pris vingt minutes par jour avec Laura pour écouter ses peurs, (principalement son papa) et après une dizaine de jours passés à ce « régime », force est de constater que les peurs ont fortement diminué. Laura les a exprimées, et son papa a toujours essayé de lui permettre d’en dire plus, plutôt que de la rassurer.

Ses peurs diminuant, Laura accepte désormais de rester seule à l’étage, mais pas dans la maison si ses parents veulent aller regarder la télévision dans la salle commune de leur habitat groupé. Précisons que les parents vivent dans un habitat groupé.

Dès lors, je propose aux parents de prendre vingt minutes chaque jour pour laisser Laura parler de ses peurs quand elle les exprime mais de valoriser également les changements positifs constatés par eux (une différence pour le dire en terme batesonien), autrement dit ce qu’elle parvient aujourd’hui à faire seule et qui n’était pas possible avant.

A ce stade-ci, les parents expriment la demande de Laura de me rencontrer surtout pour son problème d’énurésie.

 

3ème séance

Je rencontre donc Laura deux semaines plus tard. Elle me confirme effectivement que ses peurs ont diminué, mais pas tout à fait, et qu’elle continue à faire pipi au lit à la maison. Elle porte toujours des langes mais n’éprouve pas tellement d’inconfort face à ce problème. Je lui demande toutefois si elle souhaite changer cela. Répondant par l’affirmative, je lui propose donc d’arrêter de porter des langes et de changer son lit elle-même si elle fait pipi.

Elle a constamment ce problème en tête, précisera-t-elle. Du coup, elle se couche chaque soir en se disant que le lendemain, elle aura une nouvelle fois fait pipi. C’est là presqu’une certitude qui la fait aussi se lever la nuit afin d’essayer d’éviter de mouiller son lit.

Je lui suggère dès lors d’imaginer chaque soir, dans son lit, le scénario d’un pyjama qui serait sec le lendemain matin.

Par ailleurs, je prends le temps de lui expliquer tout ce que les peurs ont ou peuvent lui apporter de bon. Ainsi, et par exemple, si elle n’avait pas un peu peur avant de traverser la rue, elle oublierait de regarder (« Ta peur t’a donc sans doute déjà sauvé la vie plusieurs fois »). Je lui dis qu’il est bon qu’elle ait peur, mais qu’elle deviendra forte et plus courageuse si elle peut affronter seule ces moments de peur. J’ai coutume de dire en thérapie brève que les peurs que l’on évite se transforment en panique et que les peurs que l’on affronte se transforment en courage. Aussi, le courage, ai-je dit à Laura, n’est pas de ne pas avoir peur, mais d’oser, malgré sa peur. Je lui propose donc d’essayer de rester seule à la maison et d’écrire ou de dessiner ce qui lui fait peur, les bruits qu’elle entend, ce qu’elle pense peut-être voir,… Je l’invite à tenter cette expérience, et par là-même à se confronter à des situations concrètes (et non plus imaginaires) et à me raconter la prochaine fois comment cela se sera passé.

 

4ème séance

Laura revient à la séance suivante très fière d’elle, car elle se lève beaucoup moins la nuit et fait moins souvent pipi au lit. Elle me raconte qu’elle a seulement eu peur d’un grand chien, ce qui me permet de re-préciser l’utilité des peurs qui nous protègent. Elle dit davantage sentir et lier le fait qu’elle va faire pipi au lit lorsqu’elle a éprouvé des peurs au cours de la journée. Je lui propose donc de « faire sortir » ses peurs autrement que par le pipi » en les écrivant ou en les dessinant le soir dans un petit carnet près de son lit.

 

5ème séance

Laura déclare avoir pu rester seule. Cette expérience, que je pourrais d’une certaine manière qualifier d’expérience émotionnelle correctrice (en référence à Franz Alexander), a permis à Laura de rester seule et surtout de constater qu’elle n’a pas vraiment eu peur. Elle a dès lors accepté de répéter l’expérience. Et de voir ses peurs s’évanouir petit à petit…

Monsieur m’explique cependant se sentir « coincé » lors du quart d’heure où sa fille exprime la peur que sa maman soit enlevée par des méchants. Il ne sait pas, ne voit pas comment la pousser à dire plus que cette peur-là. A la dépasser en quelque sorte. Je demande alors à Laura ce qui se passerait si sa mère disparaissait. Il me semble important de lui dire qu’elle serait sûrement très, très triste, car il y a peu de chose aussi horrible pour une petite fille que de perdre sa mère. Je pose donc des questions très concrètes afin de l’aider à imaginer ce pire. Je lui dis qu’elle va certainement beaucoup pleurer si maman n’est plus là. Combien de jours, vas-tu pleurer ? Deux semaines, me répond-elle. Et puis ? Et puis, elle me décrit, suite à mes questions, de manière précise une journée sans sa maman…

Après cet exercice d’affrontement (par l’esprit pourrions-nous dire) de la peur, son papa dit avoir bien compris qu’il pouvait aller plus loin. Je pense surtout que Laura avait compris et je lui ai donc proposé de refaire elle-même l’exercice quand elle ressentirait des peurs par la suite.

J’arrêterai à cet endroit notre illustration clinique. Mais je sais aujourd’hui que Laura ne fait plus pipi au lit et surtout, qu’elle est devenue une petite fille courageuse.

 

En guise de conclusion

Face aux émotions d’angoisse, de peur ou même de stress de leur enfant, les parents ont le plus souvent pour réaction de tenter de calmer l’émotion en rassurant et de mettre ce faisant un couvercle sur la « casserole émotionnelle » de leur enfant. Qui ne veut pas éviter à ceux qu’il aime de ressentir de la tristesse, de la colère ou,  dans le cas présent, de la peur ? C’est là, chose naturelle et légitime. Mais il arrive qu’à vouloir rassurer, on ne fasse qu’alimenter une peur qui semble s’emballer, grossir pour se faire de plus en plus envahissante. Aussi, nous avons vu qu’il faut parfois pouvoir guider les parents afin de permettre à leur enfant d’aller au bout de ses peurs pour qu’il apprenne, d’une manière qui lui est propre, à se rassurer lui-même en les affrontant.

Une attention particulière est donc focalisée sur tout ce qui a un effet aggravant, à tout ce qui peut donc s’apparenter à de bonnes intentions mais dont l’impact est néfaste à la personne et/ou au système concerné. En voulant trop rassurer, un parent peut transmettre un double message que nous pourrions résumer prosaïquement de la sorte : je t’aime, et veux ton bien mais aussi et en même temps, tu n’es pas capable de gérer de cette situation (c’est pourquoi j’interviens) et de fragiliser ainsi davantage l’enfant, de renforcer son manque de confiance et donc sa peur.

 

Il nous arrive donc de faire aussi parfois une séance avec l’enfant :

· Ce qui confère à l’enfant une place comme demandeur. Car il me semble que dans les troubles anxieux - contrairement à beaucoup d’autres problématiques liées aux enfants – l’enfant est généralement demandeur de changement ;

· De plus, la présence d’un des parents permet qu’il observe l’application de la tâche afin d’aider les parents à jouer leur rôle de « co-thérapeute ».

 

Il est capital d’amener tant l’enfant que les parents à vivre, et non pas à éviter dans ce cas de figure, des situations ou expériences où l’enfant devra faire face à ses émotions et apprendre à les reconnaître sans les fuir. Que cela soit en pensées ou vécu in vivo, l’expérience devient source de changement si elle se fait alternative (c’est-à-dire si elle ne fait pas « plus de la même chose »), et se construit dans le respect de la relation. Restaurer dès lors cette capacité adaptative permettra à l’enfant, comme aux parents, pensons-nous, d’apprendre à affronter les difficultés que la vie ne manquera pas de dresser sur leur chemin. Et d’aider ce faisant chacun à grandir.